Dans une interview accordée à nos confrères de Euractiv en octobre dernier, le PDG de la MedTech Carmat, Stéphane Plat, s’inquiétait du prix de l’innovation en Europe — face à la concurrence des pays à bas coût (notamment en Inde) et à l’intérêt de la Chine pour les start-ups européennes… Dans de telles conditions, la MedTech a-t-elle encore un avenir en Europe ?
Selon MedTech Europe (association européenne représentant les industries de la technologie médicale), le marché de la MedTech en Europe est estimé à 150 milliards d’euros – faisant de lui le deuxième plus gros marché mondial après les Etats-Unis. Le marché se porte bien donc, d’autant qu’il s’agit d’un secteur à croissance positive qui ne cesse de voir de nouveaux acteurs arriver et de nouveaux produits et services être commercialisés. Mais, comme tout marché, il reste soumis à la concurrence d’autres marchés en développement, comme celui de la Chine ou de certains pays du golfe.
L’élément qui permettra de répondre à cette question sera la capacité du marché européen à accueillir un maximum d’entreprises et à en faciliter le développement. Tout l’enjeu tourne aujourd’hui autour de la facilitation des processus de certification des produits ou services proposés par les medtech (afin de réduire leur « time to market ») et de leur acceptation par les potentiels clients et investisseurs.
L’accès à l’investissement constitue également un élément clé car même si un budget européen est alloué à divers programmes (comme l’EIC Accelerator ou encore le DiGinnovation), le besoin de financements privés se fait de plus en plus fort.
Et au Luxembourg, plus concrètement ? L’écosystème est-il suffisamment attractif pour les startups MedTech ?
Depuis 2008 déjà, le gouvernement luxembourgeois a entrepris plusieurs investissements dans le domaine des MedTech. A titre d’exemple, on peut citer la création du Luxembourg Healthtech Cluster en 2008, de la House of BioHealth en 2015 ou encore du Jointcall Healthtech en 2020. Plusieurs projets sont également en cours comme le campus HE:AL (pour “Health and Life Science Innovation”) pour accélérer le développement d’une nouvelle approche de la médecine et des soins de santé.
De notre côté (notamment au lendemain de notre participation à la « Healthtech Mission to Dubai » avec la délégation luxembourgeoise), nous avons noté un fort intérêt des acteurs internationaux (hors Union européenne) pour le Luxembourg, notamment de par sa position géographique, idéale pour accéder à divers marchés européens.
Des améliorations restent toutefois possibles, comme la disponibilité des compétences recherchées par les acteurs de la MedTech, les coûts liés à la main-d’œuvre et aux infrastructures, l’allègement des procédures administratives pour la création d’une entité ou la diversification des modes de financement.
Comment le gouvernement luxembourgeois soutient-il la recherche et l’innovation dans le secteur de la santé ?
Récemment, le Luxembourg a mis en place une stratégie nationale de recherche, d’enseignement et d’innovation qui vise à stimuler la recherche autour du patient et à développer de nouveaux traitements et dispositifs médicaux digitaux.
On note trois points importants pour les hôpitaux du pays :
- premièrement, l’écosystème entre les hôpitaux et les organismes de recherche est désormais pleinement opérationnel, réduisant considérablement le délai d’application. Un environnement académique renforcé par l’université, avec des formations en médecine générale de plus en plus complètes et des spécialisations en neurologie / oncologie ;
- deuxièmement, la mise en place d’appels à projets et de bourses de « médecins chercheurs » spécifiques pour nos hôpitaux, pour que les professionnels de santé puissent consacrer du temps à la recherche clinique ;
- troisièmement, la volonté du Luxembourg d’accueillir un nombre croissant d’entreprises MedTech, qui travaillent sur tous les aspects de la santé et du parcours médical des patients.
Le développement de ces trois axes permet, à nos hôpitaux, d’avoir une certaine légitimité scientifique et, aux patients, de bénéficier des dernières avancées thérapeutiques.
Cet écosystème de recherche clinique permet également de révéler les compétences de notre personnel soignant à l’échelle nationale et donc de garantir la qualité des soins et de l’enseignement qu’on y prodigue.
De nombreux patients restent méfiants face à la collecte de leurs données… Comment le Luxembourg aborde-t-il la question de la confidentialité ?
En principe, les données des patients ne peuvent être collectées que par des établissements habilités, tels que les hôpitaux ou la sécurité sociale. Ces derniers doivent bien-sûr respecter les réglementations européennes et nationales en vigueur.
Ceci dit, comme on touche à la sphère privée d’une certaine manière, il est normal que le partage et le traitement des données interrogent les patients… Mais il ne faut pas oublier que l’utilisation de ces données est destinée à l’amélioration du diagnostic et du traitement des pathologies. D’ailleurs, lors d’une conférence sur la sensibilisation de la société au partage des données de santé organisée par le Health Data Hub en avril dernier, la majorité des participants s’est montrée favorable au partage des données dans le but d’améliorer leur santé. Même si cet avis n’est pas représentatif de toute la population, ça témoigne tout de même d’une volonté de soutenir la recherche et l’innovation.
En tant qu’acteur tiers qui accompagne divers clients et partenaires issus du milieu de la santé au Luxembourg, il est primordial de prendre en compte le volet conformité, afin de s’assurer du respect des prérequis généraux définis dans le Règlement Général sur la Protection des Données (RGPD).
Par exemple, dans le cadre de projets impliquant des processus de traitement de données, plusieurs critères sont à prendre en compte :
- Avoir le consentement éclairé du patient. Le patient prend connaissance de toutes les données qui seront collectées à son sujet et traitées par la suite, et donne son consentement éclairé.
- Anonymiser les données récoltées. Les données sont traitées à condition qu’aucune d’entre elles ne puisse être reliée à une personne physique identifiable. Un processus technique spécifique d’anonymisation est alors mis en place pour s’assurer de l’intégrité des données.
- S’assurer de la sécurité informatique des outils de traitement. Les organismes collectant et traitant ces données doivent être dotées d’un logiciel sécurisé, attestant de mécanismes et de processus de sécurité robustes.
- Impliquer le Data Protection Officer. Ce dernier est toujours consulté et veille à une application stricte des processus de contrôle de traitement des données à travers la mise en place de bonnes pratiques et d’audits terrain réguliers.
Quel que soit le type de projet, il existe toujours des gardes fou permettant de sécuriser le traitement des données personnelles de patients. Le plus important, c’est que la communication avec le patient soit claire afin de le rassurer quant à l’utilisation de ses données.
Comment voyez-vous l’avenir de la MedTech au Luxembourg ? Quelles sont les opportunités à saisir ?
Le Luxembourg est un pays à taille humaine avec de nombreux atouts : une multiculturalité, un emplacement géographique stratégique au carrefour de l’Europe, un marché de l’emploi attractif et surtout de nombreuses possibilités d’évolution.
Mais il est encore méconnu dans le domaine de la recherche et de l’innovation… Pourtant ces deux domaines explosent depuis une dizaine d’années avec un besoin de talents et un investissement massif venant de partenariats public-privé.
Une évolution exponentielle de la recherche clinique et de la biobanque est en cours dans les hôpitaux et ce, de concert avec les nombreux centres de recherche du pays et l’Université. Des centres de recherche translationnelle, notamment dans le domaine de la maladie de parkinson, du microbiome, du cancer et de la génétique, révolutionnent davantage le paysage de l’innovation. De par la fiscalité avantageuse, beaucoup de CRO et de startups liés à la digitalisation ou à la santé connectée viennent s’installer et développer leur produits au Luxembourg. Ce qui rend l’environnement de la recherche et de l’innovation extrêmement stimulant !
Le Luxembourg a donc beaucoup d’atouts à faire valoir sur la scène internationale mais devra renforcer son image de marque dans le secteur pour attirer les meilleures entreprises et faciliter leur intégration avec les acteurs gouvernementaux et privés du pays.